Julien Héteau : C’est vrai qu’on en parle entre nous. Surtout si on joue devant des salles moins pleines. C’est assez étonnant ce besoin d’avoir une réponse du public. Et je trouve que l’usure qu’on peut ressentir est effacée par le public. Jouer tous les soirs devant 10 personnes, on peut s’user plus vite parce que ça demande plus d’effort. Alors que quand les salles sont très remplies, il y a une écoute, une intensité et un partage qui enlève l’usure.
Julie Cavalli : On est très dépendant du public. On est des petites choses, on a besoin de reconnaissance, mais comme tout le monde ! Nous peut-être un peu plus que les autres sinon on ne ferait pas ce métier !
Julien Héteau : Je lisais une interview de Fabrice Lucchini dans le train et il disait : « c’est affligeant à quel point on est dépendant du regard des autres dans notre métier ». Et c’est vrai. Si par exemple on a l’impression que le public s’ennuie, on essaie d’aller chercher beaucoup plus. C’est vraiment l’échange. Si l’échange est là, on ne s’use pas.
En termes d’échange le TMR est une salle intime où le public est proche des spectateurs. Quelle est l’influence de la taille de la salle sur votre jeu ?
Julie Cavali : Moi j’aime l’intime. J’aime les petites salles. Peut-être parce qu’on a créé « Encore une fois » dans une petite salle.
Rémi Ortega : Je trouve que jouer dans une petite salle est plus risqué que dans une grande. Dans une grande salle, il y a une distance avec le public qui nous met plus en sécurité. Mais dans une petite salle on voit le public et c’est beaucoup plus électrique !
Julie Cavalli : Oui c’est vrai ! J’adore jouer sur les genoux des gens.
Leana Durney : L’enjeu est différent. Dans un petit lieu, on joue plus sur l’expression du visage, on est plus fin dans le jeu. Sur un plus grand plateau, on ne raconte pas la même histoire, on se déplace plus, on doit donner plus. L’effort est différent. Un petit sourcil levé au mauvais moment se verra beaucoup plus dans une petite salle. Dans une grande salle, le public est une personne et dans une petite salle on voit toutes les personnes.
Julien Héteau : C’est vrai ! Les gens ne se rendent pas compte à quel point tout ce qui se passe dans la salle nous arrive au centuple. Quelqu’un qui regarde son téléphone on se dit « Il s’ennuie ! » Alors que ce n’est pas forcément ça.
Rémi Ortega : On a tendance à être parano (rires) avec la réaction des gens.
Leana Durney : Finalement la salle est un véritable personnage. Surtout pour les spectacles d’humour.
Julien Héteau : Du coup, jouer au TMR c’est presque du service à l’assiette. On n’envoie pas du gros buffet. C’est ça qui est super agréable et en même temps troublant. Et c’est bête, mais, des fois, on se laisse trop influencer par une personne. Si tout le public se marre sauf un, ça te déstabilise plus.
« Encore une fois » mélange théâtre et opéra. Comment appréhender la réputation un peu élitiste de l’opéra dans une comédie ?
Leana Durney : Il faut se rappeler qu’à la base l’opéra est un art populaire. Même encore aujourd’hui, si on va en Italie, quand on va à La Scala, les gens parlent, les gens chantent pendant le spectacle…
Julie Cavali : Ils peuvent bisser un air. Ce qui ne se fait jamais ailleurs…
Leana Durney : Voilà, c’est quelque chose de très populaire. C’est un art qui s’est aussi un peu refermé sur lui-même. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a cette perception que l’opéra est élitiste. On croit par exemple que c’est cher, mais ce n’est pas forcément vrai. Des gens achètent des places pour Céline Dion très cher également. Il faut se rappeler que c’est la valeur que l’on donne aux choses. Les lieux, les bâtiments des opéras jouent aussi un rôle, car ils sont très impressionnants. Et effectivement, je pense que les gens pensent qu’ils n’y ont pas accès. Si le public ne fait pas l’effort d’aller à l’Opéra, c’est à nous de changer notre façon de faire et montrer aux gens que l’opéra ça peut être autre chose. Et le meilleur biais pour ça, c’est l’humour. Dans notre compagnie Comiqu’Opéra on dit toujours « il ne faut pas aimer l’opéra pour venir, il faut aimer rire c’est le principal. » Ce spectacle, on peut dire que c’est l’opéra pour les nuls, mais pas au rabais. La qualité musicale est là. Ce n’est pas de la caricature d’opéra. Nous sommes des professionnels, chaque fois qu’on vient, on fait une répétition musicale. Pour nous c’est très important que la musique soit précise, que ce soit bien fait. On défend cet art-là et on ne s’en moque pas. Ce qu’on change, c’est l’habillage. Et que ce soit les gens qui ne connaissent rien à cet art ou les connaisseurs, il y en a pour tout le monde.
Rémi Ortega : De manière générale, le métier de musicien classique et de chanteur d’opéra, c’est une forme d’art qui a minimum 200 ans. Aujourd’hui, au vu des autres formes de divertissement comme Netflix, c’est clair que l’opéra est mis en concurrence direct et demande un chouia plus d’effort. Mais j’ai toujours eu tendance à penser que ça ne sert à rien de lutter contre ces choses-là. Ça ne sert à rien de rendre les choses différentes, on peut modifier l’habillage, mais la musique ne change pas. Elle a toujours 200 ans ; on ne va pas changer les notes, on ne va pas changer les cadences. C’est un art qui demande de la discipline, mais c’est plutôt l’accès qu’on peut changer ou la façon dont on le présente. Il ne faut pas oublier que l’opéra, c’est comme de l’artisanat. Il faut prendre du temps pour le découvrir et l’apprécier.
Julien Héteau : C’est aussi pour ça qu’il faut que nous soyons très exigeants sur scène, car une place de théâtre est beaucoup plus chère qu’une place de cinéma. On se doit de proposer de la qualité. On ne peut pas rivaliser avec d’autres formes de divertissement, car, c’est vrai, le public peut vitre être déçu et ne pas revenir.
Leana Durney : Finalement oui, l’opéra est un peu vieux, mais, tout comme les musées d’archéologie ou de peinture, nous sommes un musée d’art vivant. Et on parle toujours des mêmes sujets : on parle d’amour ; l’homme n’a pas changé. Oui peut-être qu’on a des épées ou des pistoles, mais les sentiments sont les mêmes, on tue et on trompe toujours par amour aujourd’hui.
Sur 5 comédiens, Julien Héteau est le seul qui n’est pas chanteur professionnel d’opéra, comment se passe la collaboration ?
Julien Héteau : C’est un vrai privilège, j’adore chanter, mais je n’ai jamais fait ça. C’est comme aller sur la lune, il faut une fusée. Eux c’est la fusée et ils m’ont mis dedans. Pour moi, c’était hyper facile. Quand quelqu’un sait extrêmement bien faire quelque chose, tu suis et puis ça se fait. Ce n’était pas compliqué. Et comme comédien, vu qu’ils ont un niveau assez bas (rires) et bien j’excelle et je me trouve super bon alors que je suis assez médiocre. J’adore chanter tous les soirs. J’ai beaucoup appris et ça m’a servi. Franchement, on a tous nos singularités même dans les voix et nous avons tous des domaines de compétences qui sont complémentaires. C’est un vrai délice et c’est très confortable pour moi, car ils chantent très bien et ils ont fait sept ans d’études. Du coup, même si je ne suis pas bon, ça ne se voit pas (rires)
Leana Durney : C’est aussi un rôle écrit sur mesure. D’ailleurs à l’opérette, c’est courant d’avoir des chanteurs-comédiens et des comédiens-chanteurs qui sont des rôles plutôt parlés qui de temps en temps ont des phrases à chanter.
Julien Héteau : Et bien sûr, on se sert de ce manque de niveau pour un effet comique, ce n’est que du plaisir et j’adore. Je ne sais pas si vous connaissez Ariane Mnouchkine, une grande metteuse en scène française qui disait « mais qui a enlevé la musique du théâtre ? ». Dans Molière, il y avait tout le temps de la musique par exemple. Pour moi, le théâtre sans musique… il manque quelque chose. Bien sûr, il y a des pièces qui ne s’y prêtent pas, mais effectivement, la musique elle t’absorbe. Le théâtre est très cérébral. Il y a du texte, du dialogue et il faut l’analyser. Alors que la musique, ça transperce. Pour cette raison, le mélange des genres dans « Encore une fois » fonctionne à merveille !